Star Wars, Le Seigneur des anneaux, Bridgerton : Hollywood s’attaque à bras-le-corps, mais avec des idées contre-productives, au problème de toxicité dans les communautés de fans

Star Wars, Le Seigneur des anneaux, Bridgerton : Hollywood s’attaque à bras-le-corps, mais avec des idées contre-productives, au problème de toxicité dans les communautés de fans

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© Netflix/Prime Video/Disney+

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Par Adrien Delage

Publié le

Plutôt que de véritablement combattre ce phénomène pernicieux, les studios américains préfèrent anticiper et éluder le bad buzz en évitant de fâcher les fans.

Depuis quelques années, la pop culture est en proie à un phénomène de polarisation des débats, qui ternit et bouleverse l’image de divertissement et de fabrique à rêves qu’elle incarnait autrefois. C’est particulièrement palpable dans le milieu du cinéma et des séries, où les communautés de fans ont tendance à se rendre plus audibles, agressives voire extrêmes dans leurs opinions. Certaines franchises et/ou licences emblématiques et toujours très populaires sur nos écrans sont visées en priorité, comme Star Wars, Le Seigneur des anneaux ou James Bond, voire des œuvres plus modernes comme La Chronique des Bridgerton, Game of Thrones et les productions Marvel.

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La bonne nouvelle, c’est qu’Hollywood a enfin pris conscience du problème de la toxicité des communautés, particulièrement véhémentes sur la Toile, et que l’industrie compte agir pour protéger ses acteurs, professionnels comme spectateurs. La mauvaise, qui est beaucoup plus impactante, c’est que ces solutions semblent non seulement contre-productives, mais qu’elles pourraient carrément empirer la situation. En effet, le plus inquiétant, c’est qu’Hollywood donne par moments l’impression d’avoir baissé les bras, en donnant raison aux fans toxiques plutôt qu’aux artistes et à la majorité silencieuse. Quelque part, ça serait la victoire fâcheuse de la consommation sur l’art, des rêveurs sur les faiseurs de rêves, du conservatisme sur le progrès.

Star Wars : Le Réveil des agressions racistes, misogynes et homophobes

© Disney+

Histoire de remettre un peu de contexte sur cette idée de “toxic fandoms” comme l’appellent les Américains, elle englobe les mouvements souvent massifs de fans sur Internet, pour faire savoir aux studios qu’ils s’opposent voire s’indignent face à certaines de leurs décisions créatives. Ces prises de parole collectives, qui sont souvent bien plus organisées qu’il n’y paraît via des forums et des groupes privés de fans extrémistes, rassemblent toutes les remarques, menaces et agressions racistes, misogynes, homophobes et plus globalement queerphobes que peuvent canaliser les œuvres populaires en amont, pendant voire après leur diffusion. On notera d’ailleurs que ce phénomène ne touche pas que l’univers du cinéma et des séries, mais s’est aussi tristement déporté sur d’autres industries comme les jeux vidéo.

L’un des derniers exemples en date est la série Star Wars: The Acolyte disponible sur Disney+, qui comprend plusieurs personnages queers et racisés. Depuis l’annonce du show en 2020, l’actrice Amandla Stenberg affirme que The Acolyte est dans l’œil des fans racistes et misogynes de la saga créée par George Lucas, l’une si ce n’est la plus populaire dans l’histoire du cinéma. “Dès le départ, on a expérimenté une sorte de fureur de la part de la communauté de fans, que je décrirais comme ultra conservatrice, cruelle, haineuse, pleine de clichés et souvent vulgaire à notre égard”, se confiait-elle dans une story Instagram peu après l’annonce de l’annulation de la série en août dernier.

Ce cas récent, loin d’être isolé, est symptomatique des affaires du genre ces dernières années. Dans le même esprit, Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir a subi des attaques racistes à l’annonce de la présence d’Elfes et de Nains noirs au casting. House of the Dragon et The Last of Us ont souffert de review bombing (définit comme la mise en place d’une stratégie de dénigrement d’une communauté de fans, en postant volontairement des notes et des commentaires négatifs sur des plateformes de curation) pour avoir osé retranscrire des romances queers à l’écran. Enfin, le film The Marvels et la série The Boys ont été taxé·e·s de “woke garbage” (littéralement des “ordures wokes”) soi-disant à cause du nombre trop important de personnages féminins et/ou homosexuels à l’écran.

Pour ne rien arranger, les fans peuvent aller encore plus loin en s’attaquant personnellement aux interprètes via leurs réseaux sociaux. Masali Baduza, l’interprète sud-africaine de Michaela dans La Chronique des Bridgerton, en a souffert lorsqu’elle fut annoncée comme love interest de Francesca, et le gender swap que le twist implique, dans la saison 3. Il existe aussi une version détournée de cette forme de toxicité lorsque les fans sont à l’inverse beaucoup trop impliqués dans une œuvre de fiction, qui nous rappelle que trop bien qu’étymologiquement parlant, fan est tiré du mot fanatique et des dérives d’idolâtrie que sa définition implique.

En la matière, les acteurs et actrices de Game of Thrones connaissent mieux que personne ces vagues de haine gratuite. Lena Headey et Jack Gleeson, les interprètes respectifs de Cersei Lannister et Joffrey Baratheon, avaient injustement payé dans la vraie vie les actes répréhensibles de leurs personnages, jusqu’à les dégoûter du métier.

Plus récemment, Fabien Frankel alias Criston Cole dans House of the Dragon, avait été obligé de se retirer temporairement d’Instagram après une vague de cyberharcèlement suite à la diffusion de l’épisode “Rhaenyra la Cruelle”, où le personnage condamne à mort l’un de ses chevaliers. Bêtise humaine ou immaturité flagrante, certains ne font même plus la différence entre réalité et fiction, aveuglés par leurs idées préconçues, le pseudo anonymat procuré par les réseaux sociaux et/ou leur haine injustifiée contre certaines minorités.

Mais alors quid des solutions ?

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Maintenant qu’on a placé le contexte, voyons ce que Hollywood propose pour limiter le phénomène sur le Web et les réseaux sociaux. Variety a rencontré plusieurs acteurs de l’industrie pour en discuter avec eux, dont des agences de communication qui bossent avec les studios pour la sortie des films et séries. Comme on vous le précisait précédemment, les solutions apportées sont inadaptées voire carrément aberrantes.

En premier lieu, les personnes interrogées proposent de ne plus provoquer les fans. Autrement dit, les caresser dans le sens du poil pour leur donner ce qu’ils veulent. Adieu la créativité, bonjour le conformisme. Pire, certains studios organisent déjà des screening tests via des groupes de “super-fans” sélectionnés, puis leur proposent plusieurs concepts de campagnes marketing pour, en gros, observer ce qui les choque le moins. Selon un communicant anonyme, ces groupes tests “ont déjà amené des studios à modifier des œuvres en cours de production”. Tant que le film ou la série n’est pas terminé·e, [ils] peuvent s’adapter et faire des changements en fonction des réactions”, autrement dit, considérer l’œuvre comme un produit qui doit s’adapter à la demande que représentent les fans.

Ensuite, certains talents (à comprendre acteurs et actrices) seraient désormais invités par des studios à participer à des boot camps autour des réseaux sociaux. L’idée, c’est que la personnalité confie la gestion de ses comptes aux studios en cas de vague de cyberharcèlement. Si la situation s’aggrave, avec des menaces de mort ou de viol, une agence de cybersécurité sera déployée pour scruter et protéger les données sensibles d’une star, afin d’éviter le doxing (la divulgation publique de données personnelles dans le but de nuire, qui est considérée comme une infraction pénale dans certains pays comme la France, mais pas partout).

Le problème de ces deux solutions, c’est qu’elles ne remettent à aucun moment en question le process des studios, le manque de liberté artistique et créative des professionnels de l’industrie et surtout le comportement déplacé voire agressif des fans. En bref, ça revient à dire on traite les symptômes, pas la maladie. Quand on vous disait que Hollywood a baissé les bras face à la toxicité des communautés, il n’y a qu’à voir les rumeurs autour de l’annulation de The Acolyte qui sont révélatrices du manque de cran des studios face à la fanbase de leurs franchises.

Officiellement, The Acolyte coûtait trop cher à produire par rapport à l’audience générée, qui déclinait au fur et à mesure des épisodes, comme le rapporte un article assez complet de Forbes sur le sujet. Officieusement, plusieurs fans, de la série cette fois, accusent Disney et Lucasfilm d’avoir tué la série pour ne pas contrarier davantage la partie la plus vocale et véhémente de la communauté Star Wars.

Ici, on préfère se baser sur des faits et ne pas tomber dans la conspiration de comptoir, mais on rejoint les fans de The Acolyte sur un point : annuler la série la plus inclusive de cet univers, c’est clairement envoyer un message péjoratif, conservateur et régressif, dans une société et une industrie qui devraient justement tenter de normaliser ces minorités et ne plus en faire un sujet de débat à chaque annonce et décision créative dite “woke”.

Vers un nouvel espoir ?

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Afin de terminer sur une note plus optimiste, on a quand même envie de souligner les (trop rares) efforts mis en place par ces derniers avec des réponses plus réactives et surtout frontales pour lutter contre la toxicité des fans. En 2022, pour la sortie de la mini-série Stars Wars: Obi-Wan Kenobi, l’actrice Moses Ingram a subi une vague de cyberharcèlement et de racisme sans précédent pour son rôle. Quelques jours après, Lucasfilm a pris les devants en postant un communiqué pour défendre Moses Ingram, défense symbolisée par cette phrase forte : “il y a plus de 20 millions d’espèces douées de conscience dans l’univers de Star Wars, ne choisissez pas d’être raciste”.

Parfois, la situation peut même quasiment s’inverser comme ce fut le cas entre les saisons 1 et 2 des Anneaux de Pouvoir. Après les réactions racistes des fans suite à l’annonce de la présence d’Elfes et de Nains racisés en Terre du Milieu, le cast de la série avait posté un communiqué condamnant “le racisme incessant, les menaces, le harcèlement et les agressions dont sont victimes quotidiennement certains de nos partenaires racisés”. Ils avaient d’ailleurs été soutenus par d’anciens acteurs de la trilogie de Peter Jackson, qui avaient créé des vêtements flanqués des oreilles des personnages et créatures de couleur de l’univers de Tolkien, et d’une phrase en elfique qui signifiait : “tout le monde est le bienvenu ici”.

Vernon Sanders, le patron des studios Amazon MGM, assurait en août dernier dans les colonnes de Variety que la série n’avait pas subi le même niveau d’agressions racistes entre les deux saisons : “Les fans ont eu l’occasion de s’impliquer dans la série. En grande majorité, on a remarqué cette saison que les fans ouverts d’esprit venaient débattre et discuter de leurs personnages préférés, sans se confronter aux atrocités des conversations des personnes qui pensent à tort que la série a été conçue pour respecter un agenda ou des contraintes spécifiques.”

Si une communauté d’Hommes, de Hobbits, d’Elfes et de Nains peut se réunir et s’entendre pour détruire un simple anneau, alors pourquoi pas les fans de pop culture pour la sauver des ténèbres de la toxicité ?