“Ça a été vraiment une super belle aventure”, a confié samedi l’artiste Abraham Poincheval après avoir rampé hors du goulot de la bouteille géante dans laquelle il s’était enfermé il y a dix jours, près du Stade de France, où la température a frôlé les 50 degrés. Après avoir encore dialogué avec des passant·e·s via un long tuyau noir, l’artiste qui avait élu domicile le 25 juillet dans une bouteille en PVC de six mètres par deux, amarrée le long du Canal Saint-Denis, a été ramené à quai.
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“Il fait frais ici”, a déclaré l’artiste, fatigué et ému, sous les applaudissements. À ses côtés, son père sculpteur lui a remis la “médaille de l’immobilisme, sport le plus difficile”, alors que se tiennent à quelques centaines de mètres les épreuves d’athlétisme des Jeux olympiques. Une petite éolienne et des capteurs solaires ont permis au performeur de fabriquer un peu d’électricité pour l’éclairage et la ventilation. Nourriture lyophilisée et toilettes sèches ont fait le reste.
“Quand on commence une pièce, on ne sait jamais où l’on va. C’est toujours une sorte de jeu que je mets en place […]. Là, ça a été vraiment une super belle aventure”, a reconnu l’artiste de 52 ans qui se souviendra autant de la beauté des ciels orageux que des centaines d’interactions avec le public. Sa présence inattendue dans une bouteille a de fait suscité de nombreuses rencontres, tant avec les habitant·e·s qu’avec le personnel mobilisé pour les JO, les touristes, les personnes sans domicile ou les forces de police.
Pendant ces dix jours, Abraham Poincheval a vécu à la fois seul et sous l’œil du public. La veille, sa batterie est tombée en panne, stoppant net le système d’aération et d’alimentation en eau. “C’est comme si la bouteille me disait : ‘Il faut que tu sortes'”, a-t-il plaisanté. Malgré des pare-soleil, la température de la bouteille a atteint les 47 degrés pendant une demi-journée. “Il a fait horriblement chaud. […] On se serait cru en plein désert”, a commenté l’artiste qui aurait été contraint de se “désembouteiller” si le thermomètre avait atteint 50 degrés. “Là on rentre vraiment dans l’idée de la question de la performance, de se dire […] ‘on traverse ça et on tient le coup'”, a-t-il expliqué.
“Premier réseau social”
La performance, intitulée sobrement La Bouteille, était organisée dans le cadre d’un appel à projets de l’établissement public territorial Plaine Commune pour permettre au public de se réapproprier le canal. “Il y a plein d’histoires de bouteilles à la mer, écologiquement par exemple, les premières façons de comprendre les flux marins, ça a été de mettre des bouteilles à la mer et de voir où elles arrivaient […] et j’ai trouvé cette idée assez belle”, a commenté l’artiste, invitant chacun à “inventer le message” de sa performance.
“La bouteille, c’est un peu le premier réseau social”, a ajouté celui qui souhaitait interroger tant l’intimité que l’usage que chacun·e fait de l’espace public, à l’heure où “beaucoup de gens mettent leur vie sur les réseaux sociaux”. Bouteille de champagne à la main, le maire socialiste de Saint-Denis Mathieu Hanotin l’a félicité et lui a offert un billet pour les épreuves d’athlétisme. “Cette performance est extraordinaire parce qu’elle n’est pas banale. L’objet nous interpelle et l’artiste nous interroge aussi sur notre rapport à la nature, aux déchets, à la consommation”, a-t-il déclaré à l’AFP.
Dans le public, Nicolas, 5 ans, était déjà venu la veille avec sa mère et avait parlé à l’artiste. “Il en avait un peu marre et voulait prendre une douche et manger des fruits”, raconte le petit garçon. Paul Ally, habitant de Saint-Denis, est venu voir chaque jour l’homme dans sa bouteille. “Je lui demandais comment ça allait, comment s’était passée sa journée, je pense que c’était important de le soutenir car c’est courageux de rester barricadé comme si on était en prison”, reconnaît-il.
“Il doit y avoir beaucoup de préparation mentale car c’est un face-à-face avec soi-même, c’est assez impressionnant”, témoigne Blanche Clément qui vit dans le XIXe arrondissement. D’autres ont jugé, en commentaires de notre vidéo, que la performance était de mauvais goût face au sans-abrisme et au mal-logement qui sévissent dans le pays. Pour sa prochaine performance, Abraham Poincheval envisage de s’enfermer “dans une ruche en Ardèche”. Quant à la bouteille, il compte maintenant la “faire voyager” en baie de Tokyo.