On a un problème avec Plan Procu, le “Tinder de la procuration”

Le vote c'est sacré mais surtout secret

On a un problème avec Plan Procu, le “Tinder de la procuration”

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Par Pierre Bazin

Publié le

La plateforme qui vise à mettre en relation les citoyens qui votent par procuration (et ceux qui peuvent voter pour eux) pose un problème : celui de la confiance en politique.

À qui donner sa procuration ? Son père ? Sa meilleure amie ? Ou un inconnu “de confiance” ? Avec la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, les élections législatives anticipées qui auront lieu le 30 juin et le 7 juillet prochains ont pris beaucoup de gens de court.

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L’article 3 de la Constitution de 1958 garantit trois principes pour le vote : universel, égal et secret. La procuration est la seule et unique exception à ce troisième point, autant vous dire que c’est quelque chose de vraiment très important.

À qui accorder sa confiance pour quelque chose d’aussi sacré que le vote dans l’isoloir ? Instinctivement, on pense souvent à se tourner vers sa famille. C’est notamment le cas pour de nombreux étudiants qui sont souvent encore inscrits sur les listes électorales de leurs domiciles familiaux.

Mais les désaccords politiques existent aussi en famille comme le relatait déjà le journal Libération il y a deux ans : “Je n’ai pas envie de suivre ta consigne”, rétorquait ainsi un père à sa fille lorsque celle-ci lui demandait de voter Mélenchon à sa place – alors que lui votait Macron.

Plan Procu, fausse bonne idée ?

Vous avez sûrement vu passer dans tous les médias le nom de Plan Procu. La plateforme, qui n’hésite pas à se vendre comme le “Tinder de la procuration”, vise à mettre en relation des gens souhaitant voter par procuration avec des gens disponibles pour mandater une procuration.

Sur le principe, l’idée peut paraître aussi simple qu’efficace. On a une procuration, on cherche quelqu’un qui peut la porter et la plateforme fait le lien géographique entre deux citoyens. Formidable ! Alors, bien sûr, cela ne remplace pas le processus administratif sur maprocuration.gouv.fr et le déplacement en gendarmerie ensuite, mais l’idée de Plan Procu, c’est de trouver quelqu’un de “confiance” à qui confier son précieux vote.

Depuis l’annonce des élections anticipées, la plateforme est massivement reprise dans la presse et ses fondateurs annoncent déjà des milliers de demandes – bien plus que pour les européennes.

Mais comment garantir la confiance entre mandant et mandataire de procuration ? Si les équipes de Plan Procu disent faire en sorte de faire “matcher” humainement deux candidats, d’autres s’interrogent sur les possibles détournements.

Une sécurité qui s’affaisse devant le secret

Derrière Plan Procu, on retrouve l’ONG A Voté, une organisation qui “s’engage pour la démocratie” qui s’était déjà illustrée aux présidentielles de 2022 en aidant les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales – notamment via un partenariat avec Tinder.

Mais si aider à l’inscription sur les listes électorales est une mesure plus que louable, c’est une toute autre affaire de s’immiscer jusque dans l’intimité du vote et de la procuration. Il y a certes une charte éthique à signer lorsqu’on s’inscrit sur Plan Procu mais à la fin, tout repose sur la confiance. “On ne sait jamais ce qui se passe dans l’isoloir”, concède la coprésidente de A Voté, Clémence Pène, au micro de BFM TV.

Le site assure tout de même surveiller les “comportements douteux” et espère ainsi repérer une menace potentielle de dévoiement de la part d’organisations politiques diverses.

“Depuis quand l’extrême droite respecte les règles ?”, s’interroge ainsi un internaute, craignant que la plateforme puisse être dévoyée par des militants malintentionnés qui pourraient détourner le vote en s’emparant de nombreuses procurations.

Le problème, ce n’est pas le “partisan”, c’est justement l’“apartisan”

De son côté, l’autre coprésident Dorian Dreuil se réjouit auprès de 20 minutes d’annoncer la “première plateforme de procuration citoyenne” avant d’expliquer qu’ils ont “repris la même technologie qu’utilisent les partis politiques pour mettre en relation leurs adhérents, sauf que c’est promu ici par une organisation non gouvernementale indépendante et apartisane”.

C’est vrai que Plan Procu utilise la plateforme Citipo, une start-up fondée par Titouan Galopin… l’architecte Internet d’Emmanuel Macron qui a coordonné le site Internet du candidat-président en 2022. C’est d’ailleurs aussi lui qui semble avoir déposé le nom de domaine “planprocu.fr”, ce qui, sur le papier même, sonne déjà moins “apartisan”.

Néanmoins, ce n’est pas Tristan Galopin qui met en relation mandants et mandataires de procuration ! Peu importe son appartenance politique, on comprend parfaitement qu’on puisse œuvrer objectivement pour le bon fonctionnement de la démocratie en général et c’est tout à son honneur. D’ailleurs, l’outil de la start-up Citipo est en effet utilisé par des partis de différents bords politiques.

Mais vous savez qui n’a vraiment aucun intérêt à dévoyer votre vote ? Les partis pour lesquels vous votez, justement.

Car le problème d’une plateforme “apartisane“, c’est qu’il faut rebâtir une relation de confiance avec un·e inconnu·e. Dans l’autre sens, si vous donnez votre procuration à un militant d’un parti pour lequel vous voulez voter, vous réduisez considérablement le risque que ce dernier ne suive pas votre consigne de vote.

Depuis longtemps, les partis se portent volontaires pour faire porter les procurations par des militants, mais ce n’est pas adressé uniquement aux adhérents. N’importe qui peut contacter la fédération locale du parti pour lequel il veut voter et ainsi voir sa procuration portée par quelqu’un qui partage (plus ou moins) ses idées. Il existe d’ailleurs des espaces dédiés aux procurations sur les sites des différents partis.

Ainsi, vous pouvez accorder votre confiance à votre meilleur ami (c’est le mieux, honnêtement) mais à défaut de la disponibilité de ce dernier, préférez le rationnel.

Contactée par Konbini, la plateforme Plan Procu n’a pas encore répondu à notre demande de questions.