“Je ne suis pas carriériste” : entretien avec Marie Tabarly

“Je ne suis pas carriériste” : entretien avec Marie Tabarly

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Par Abdallah Soidri

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"J’ai la chance de faire des métiers dans mes deux passions."

Marie Tabarly est une femme aux multiples talents : à l’aise en mer, où elle dompte les vagues depuis des années, et sur terre, avec les chevaux, des animaux qui n’ont aucun secret pour elle. À quelques semaines de son départ pour la Transat Jacques-Vabre, le 7 novembre prochain, la fille du célèbre marin Éric Tabarly nous raconte l’importance de cette compétition, symbolique pour elle à bien des égards, ses futures courses et sa relation avec les chevaux. Avec un gros coup de gueule en prime, après le scandale à l’épreuve d’équitation du pentathlon moderne féminin aux JO.

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Konbini Sports | Dans quelques semaines, vous allez prendre le départ de la Transat Jacques-Vabre, dont l’arrivée est en Martinique, à Fort-de-France. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Marie Tabarly | C’est une très belle course sportivement. Et il ne faut pas oublier le niveau d’engagement technique qu’elle requiert. Je suis très contente de la faire, dans certaines conditions en plus : avec un bateau qui a une belle histoire, avec un skipper [Louis Duc, ndlr] que je connais bien et un parcours qui va jusqu’en Martinique. Je ne pouvais pas rêver mieux.

Qu’est-ce qui vous a convaincue de prendre le départ de cette course ?

Rien du tout. Je n’ai pas eu besoin d’être motivée ou convaincue. Avec Louis, on se connaît depuis un moment. On a échangé quand il a récupéré le bateau en novembre dernier. En février-mars, je lui ai proposé mon aide pour trouver des partenaires, parce qu’on sait à quel point c’est compliqué d’en trouver. Le bateau était une épave, brûlée à 30 %. Louis a eu le courage et l’audace de prendre une belle caravelle, très accidentée, et de la reconstruire. C’est un projet qui me plaisait bien. Et on se retrouve à faire la Transat ensemble, avec le bateau à l’eau, prêts à faire la course.

Vous y allez avec quel objectif ?

Premier overall [avec enthousiasme] ! L’objectif était d’abord d’avoir le bateau à l’eau et en bon état à la fin de l’année. C’était une décapotable en février, avec un trou au milieu et des traces de suie partout. C’est déjà une énorme victoire d’avoir un bateau compétitif à 45 jours du départ [interview réalisée le 23 septembre, ndlr].

Donc, l’objectif est d’aller de l’autre côté et que Louis prépare son Vendée Globe 2024 dans les meilleures conditions. Pour ça, il faut qu’il arrive sur une belle Route du rhum l’année prochaine, et pour y arriver, il doit découvrir au maximum son bateau, trouver les bons réglages pendant la Jacques-Vabre pour être prêt quand il naviguera en solitaire.

“Il ne faut jamais dire jamais”

Dans deux ans, vous disputerez l’Océan Globe Race, un tour du monde à la voile. C’est le genre de défi que vous aviez hâte de relever ?

On part tous les deux, Louis et moi, sur deux tours du monde complètement différents : lui, en solo et sur un bateau très moderne ; moi, en équipage, sur un vieux bateau et au sextant. L’approche n’est pas la même. Mais c’est agréable de naviguer avec des gens qui ne sont pas comme nous, c’est là que l’on apprend.

Vous avez parlé du Vendée Globe, que votre partenaire va disputer dans trois ans. C’est une course à laquelle vous aimeriez aussi participer un jour ?

Je ne sais pas du tout. Au 1er janvier, je ne savais pas que je participerais à la Jacques-Vabre. Je ne suis pas carriériste. Peut-être que je vais aller à l’Océan Globe Race, puis je retournerai avec mes chevaux parce que j’en aurai assez d’avoir bouffé de l’eau salée dans le Sud, d’avoir froid, mal et faim. Et il se peut que j’aie envie de faire le Vendée Globe. Ou bien, je tomberai amoureuse d’un bûcheron, et j’irai vivre dans la Yosemite. Il ne faut jamais dire jamais.

Je ne connais que trop bien l’engagement qu’il faut pour faire un Vendée Globe, pour l’avoir vécu avec de nombreux copains. Ce n’est pas une décision qu’on prend à la légère. Il m’a déjà fallu beaucoup de temps pour me dire que j’avais l’envie et les compétences d’aller sur l’Océan Globe Race.

Départ en qualification pour la Transat Jacques-Vabre 2021 du duo Louis Duc et Marie Tabarly sur le 60 pieds Imoca Kostum-Lantana Paysage. Ouistrem, France, le 11 septembre 2021. (© Bernard Le Bars)

Quelques mots sur votre autre passion et activité, celle de comportementaliste équin. En quoi ça consiste exactement ?

Avant de reprendre la vie de marin, je faisais le lien entre les hommes et les chevaux. J’interviens quand il y a un problème de compréhension entre les deux, c’est-à-dire quand le cheval a peur, qu’il devient agressif, dépressif, introverti, mal à l’aise et qu’il ne comprend pas trop le milieu avec l’humain. J’interviens aussi quand des cavaliers ont un cheval avec qui ça va bien, mais qu’ils veulent mieux le connaître.

Il n’y a pas de chevaux à problème. Le cheval ne naît pas cheval à problème. C’est avec des rencontres avec l’humain qu’il le devient potentiellement. L’idée est de réexpliquer certaines choses au cheval, de le remettre dans les codes de compréhension avec l’humain et d’expliquer à l’humain comment fonctionne le cheval.

J’imagine que vous avez dû suivre la polémique aux JO autour de l’épreuve d’équitation du pentathlon moderne féminin. Quel est votre regard là-dessus ?

Je pense qu’il est grand temps de changer les choses. C’est scandaleux. Le cheval a son mot à dire. Monter sur un cheval sans lui demander son avis, c’est un peu comme du viol. On lui monte dessus, sur une zone dangereuse pour lui, le dos, il ne connaît pas la personne et se retrouve dans un endroit ultra-stressant avec quelqu’un qui joue sa carrière et qui n’est pas du tout là pour faire de la cohésion. Ça va à l’opposé de tout ce qu’on doit faire.

“Je ne suis pas là pour me faire des copains”

On sait que ce ne sont pas de bons cavaliers. On ne peut pas être à 100 % partout. Et on ne découvre pas un cheval en 20 minutes, il ne faut pas rêver. L’obstacle est une épreuve de confiance entre un cavalier et un cheval. Là, il n’y a pas de confiance. Il ne peut pas y en avoir. Donc, à un moment, il faudrait savoir ce qu’on a envie de tester.

Ce que vous dites va à l’encontre des recommandations l’UIPM, qui, après la polémique de cet été, envisage des obstacles plus légers ou moins d’obstacles, mais veut garder ce système de tirage au sort.

Je trouve ça ridicule. J’aimerais savoir pourquoi il y a une épreuve d’équitation et ce qu’on cherche à savoir de l’athlète. Il y a plein d’épreuves à cheval, et de façons d’aborder le cheval, il n’y a pas que l’obstacle et le dressage du complet. Il serait peut-être temps d’ouvrir sur d’autres disciplines, car, pour moi, l’obstacle ne remplit pas les bons critères. Je ne suis pas là pour me faire des copains, je me mets à la place du cheval et pour lui ce n’est pas bien. Ça n’a pas de sens pour lui.

D’où vous vient cette passion pour les chevaux ?

J’ai rencontré mon premier cheval à 3 ans et demi. J’ai eu la chance de pouvoir en faire et je me suis débrouillée pour continuer. Je travaillais dans des élevages quand j’étais petite. Dès mes 9 ans, je partais à l’étranger, en Angleterre ou dans des haras en France, je travaillais pour des gens gratos, je faisais des box, on me faisait monter les chevaux et en échange, j’étais logée et nourrie.

J’ai pu me développer comme ça, en allant des écuries différentes. C’est un système que j’ai continué à l’âge adulte. La dernière fois, en 2015, je suis partie six mois dans le Kentucky chez un maître écuyer pour continuer de me perfectionner. J’en ai toujours fait et j’ai toujours navigué aussi. En fonction de ce dont j’avais besoin dans la vie, je me suis orientée vers le cheval ou vers le bateau. J’ai la chance de faire des métiers dans mes deux passions.