On s’est faufilés chez Florent Pietravalle, le chef dont tout le monde va bientôt parler

On s’est faufilés chez Florent Pietravalle, le chef dont tout le monde va bientôt parler

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© Konbini Food

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Par Robin Panfili

Publié le , modifié le

Florent Pietravalle est l’un des futurs grands noms de la gastronomie française. On a cherché à comprendre pourquoi.

Pour savoir si un restaurant nous a marqués ou non, chacun a son petit mémo technique. Certains conserveront un ticket de caisse, une photographie d’un plat, avec le chef, ou simplement un souvenir indélébile en mémoire. D’autres profiteront de la moindre conversation pour en reparler, et s’amuseront, avec la plus grande précision possible, à décrire le détail d’un plat. Sans même m’en rendre compte, lors de mon passage à La Mirande, je me suis rendu coupable de la plupart de ces artifices.

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Si c’est à cela que l’on reconnaît un grand restaurant, c’est aussi et surtout à cela que l’on reconnaît un grand chef en devenir. À Avignon, aux pieds de l’imposant Palais des papes, un temps forteresse puis résidence pontificale, La Mirande porte le poids de son histoire. Celui à qui l’on a confié la responsabilité de cet héritage, c’est Florent Pietravalle. Discret, affirmé, acharné et déjà multi-auréolé de distinctions en tout genre, le jeune chef originaire du Languedoc a déjà tout d’un grand, et même d’un très grand.

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Débarqué à Avignon à seulement 28 ans, et aujourd’hui “la trentaine passée”, Florent Pietravalle a la tête sur les épaules et le cuir déjà solide. Avant ça, chez Robuchon, il a appris la rigueur et la discipline. Chez Rabanel, il a exploré les merveilles de la cuisine végétale. Chez Gagnaire, où il officiera pendant quatre années, il découvrira l’excellence et les exigences du monde étoilé.

Dans n’importe quel métier, on parlerait d’un beau CV, mais, à ce niveau, parlons directement de palmarès. Si la presse gastronomique aime à rappeler ses faits d’armes avec un ton parfois obséquieux, lui n’en a jamais fait sa carte de visite, et encore moins sa vitrine. N’allez pas y trouver de la fausse modestie, vous n’y trouverez qu’une profonde franchise.

Il n’aura fallu que quelques années au chef pour imposer à La Mirande sa cuisine, mais surtout sa philosophie. Celle d’une gastronomie aux coudées franches, à rebours des clichés éculés des tables qui s’accrochent péniblement à leur étoile. Celle, aussi, d’une cuisine vertueuse, tant dans la manière de travailler avec sa trentaine de producteurs locaux qu’avec ses équipes en cuisine. À La Mirande, on ne crie pas, on parle, même, et surtout lorsque le service s’emballe.

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Ce jour-là, Florent Pietravalle a insisté pour nous faire visiter les lieux. Les cuisines, bien sûr, mais aussi la cave à vin, les chambres froides et ses petites réserves secrètes. Dans le dédale de cette bâtisse du XIVe siècle, nous atterrissons, presque au hasard, sur une champignonnière improvisée dans les voûtes souterraines de l’édifice.

Chaque semaine, dix kilos de champignons y voient le jour, dopés à l’engrais naturel créé à partir du marc de café de l’hôtel et des parures de légumes réduites en compost. Seuls trois kilos seront utilisés au restaurant, “le reste est donné à des restaurants de la ville ou à des associations”.

Florent Pietravalle dans la champignonnière de la Mirande. (© Konbini food)

À table, c’est une partition parfaitement millimétrée qui nous enveloppe dans l’expérience. Afin que les convives “puissent rester concentrés sur leur repas”, les assiettes défilent avec une cadence calculée à la seconde près – un délai précis est prévu pour chaque séquence du menu. “L’essentiel, c’est que les gens s’accrochent au moment et ne perdent pas le fil.”

Quant à ce que l’on trouvera dans l’assiette, impossible d’anticiper. “Le menu est servi à l’aveugle, car il évolue chaque jour, à chaque service. Tout dépend de ce que l’on reçoit, des contraintes que peuvent endurer des fournisseurs, des idées qui nous viendront en tête…”

Florent Pietravalle prend pour exemple un plat qu’il imaginerait le matin, qu’il ferait goûter à son second ou à son directeur de salle, et qu’il proposerait au menu le midi. “Il n’y a pas de règles et on ne s’interdit rien, martèle-t-il. Nous avons une ligne directrice, des marqueurs et des assaisonnements qui guideront la trame du repas, mais c’est tout. La magie de la cuisine, c’est d’avoir le bon produit au bon moment.”

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S’il ne souhaite surtout pas être “rangé dans une case”, Florent Pietravalle a pourtant sa vraie marque de fabrique qui le place déjà distinctement sur l’échiquier gastronomique. Une créativité à la Alexandre Mazzia ou à la Alexandre Gauthier, intrépide et rigoureuse, qui l’amène explorer sans cesse, et sans retenue, des terrains inconnus : une confiture d’algues, une glace d’aubergines, ou encore une “poire noire”, son invention née d’une caramélisation de plusieurs mois en bocal, servie comme telle ou distillée en une eau-de-vie unique au monde.

Autre fulgurance : un yaourt de raifort, désormais incontournable, servi avec un garum de bœuf – une fermentation au sel de chutes de viande venue de la Rome antique –, accompagné de caviar, d’oxalis… et d’une bière au concombre. “Ce garum, que l’on pourrait comparer à une gelée, a un côté très puissant, très animal”, dit-il. Il est aussi tellement marquant que seuls quelques jours auront suffi pour en faire le plat signature de la maison. “Ce n’est pas moi qui choisis si un plat doit devenir ma signature mais le client, et c’est très bien comme ça.”

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Plus tard, une autre incongruité vient s’inviter dans notre assiette. Une merguez de rouget, souvenir des longues matinées de pêche de son enfance, puis un étonnant pavé blanchâtre, amené à table par le chef en personne. La croûte, que l’on croirait salée, est en réalité une macération de saké de Camargue enveloppant une selle d’agneau.

“Cette méthode n’a pas d’effet sur la cuisson, mais elle joue un rôle immense sur les saveurs et sur la transmission des goûts, nous précise le chef. Au contact du riz fermenté, l’agneau va gagner en sucrosité, en complexité et en tendreté.” Une fois ramené en cuisine, l’agneau sera libéré de sa carapace de riz, puis cuit.

Florent Pietravalle entretient chaque jour son étoile à coups de baguette magique. La pression du Guide rouge, il y pense, bien sûr, mais elle ne le hante pas. Et puisque les idées ne manquent pas, ça aide à se libérer l’esprit. Jusqu’à la deuxième étoile ? “On verra…”, souffle-t-on dans les couloirs de La Mirande, histoire de ne pas se porter l’œil.

Une chose est certaine, deuxième macaron ou pas, c’est que Florent Pietravalle a accompli le plus important, et sûrement le plus difficile : s’imposer humblement comme l’un des nouveaux visages de la gastronomie française, sans ambages et sans artifices.