Coperni a-t-il fait du “geek-washing” avec son défilé “LAN Party” ?

Coperni a-t-il fait du “geek-washing” avec son défilé “LAN Party” ?

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Par Pierre Bazin

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Avec son défilé "LAN Party", la marque a souhaité s'associer à la culture gamer mais l'a éclipsée en arrière-plan.

Dimanche 9 mars, se tenait le défilé Coperni à l’Adidas Arena. Habituée à créer des événements originaux et marquants pour le grand public, la marque a décidé cette fois de se mélanger à l’univers du gaming. Une occasion de “rendre hommage au monde du jeu en général et aux LAN parties”, des événements qui, selon le créateur Arnaud Vaillant, consistent “à rassembler des gens et à jouer ensemble, sans être seuls chez soi.”

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Sur place, Coperni avait en effet rassemblé pas moins de 180 joueurs et joueuses de jeux vidéo. L’événement était organisé en collaboration avec la structure e-sport française Gentle Mates, fondée en 2023 par Gotaga, Squeezie et Brawks.

Les gamers étaient ainsi disposés avec leurs PC occupant tout l’espace au centre de l’arena et l’enchaînement de leurs 180 setups gaming montés sur table créait ainsi le runway sur lequel les mannequins allaient pouvoir défiler, entourés par les joueurs et joueuses en pleine partie de Fortnite ou Rocket League – les deux seuls jeux vidéo présents à cette “LAN party”.

Parmi les gamers, on pouvait ainsi compter des joueurs professionnels e-sport comme Eika ou encore Mel mais aussi bien évidemment tout un lot de streamer·euse·s comme Little Big Whale, Doigby, LyeGaia ou encore Skyyart, ce dernier s’occupant de commenter l’événement car tout le monde était bien sûr connecté en live sur leurs chaînes Twitch respectives.

L’audience toujours croissante de l’esport, du streaming et de cette culture “geek” en général est évidemment un atout majeur de communication pour Coperni qui espère probablement attirer un nouveau public, plus jeune en allant directement le chercher sur son médium. Le seul problème, c’est que cette même génération connaît la différence entre un discours intéressé et sincère.

Association singulière ou mariage forcé ?

Si vous étiez une personne importante invitée au défilé Coperni, vous alliez être placée littéralement entre les gamers, les places “front row” étaient véritablement intercalées entre les chaises gaming. C’est ainsi que des stars comme Úrsula Corberó, Ice Spice ou J.I.D se sont retrouvées au milieu d’un univers de nerds.

Malgré la présence de cette mise en scène originale, l’ambiance était tout de même assez similaire à n’importe quel défilé de Fashion Week avec la majorité des flashs d’appareil concentrée sur les habituelles stars de ces endroits. Squeezie, l’un des plus grands influenceurs-gamers de France, a même dû s’écarter et interrompre une interview pour laisser passer la vague de photographes qui se précipitait sur la célèbre mannequin Georgina Rodriguez.

Le défilé a commencé vers 21h après que les fashionistas ont pu faire toutes les photos possibles et imaginables près des ordinateurs – mais pas vraiment auprès des joueurs. La parade sur le runway était on ne peut plus classique et même si d’après les observateurs, les vêtements étaient supposés rappeler des éléments du jeu vidéo : les “fameuses” petites sacoches de Lara Croft, la robe fendue d’Ada Wong dans Resident Evil ou des uniformes d’écolières “rappelant l’univers du manga” d’après France TV Info. Au secours.

Sur les réseaux, les réactions sont nombreuses. Si des influenceuses mode s’amusent innocemment de la drôle de mise en scène, le reste du public ne comprend pas vraiment l’initiative. Pire encore, un certain nombre critiquent vivement cette mise en scène : “En gros des riches qui créent un zoo de gens normaux qui jouent aux jeux vidéo sous couverture de « scénographie »”, ironise un commentaire maintes fois liké.

Try Again

Au micro de Quotidien, Brawks, co-fondateur de Gentle Mates, expliquait vouloir montrer que “les joueurs de jeux vidéo ne sont pas tous des mecs avec des boutons qui ne savent pas s’habiller”. Un message tout à fait honorable mais dans ce cas pourquoi avoir habillé les 180 joueurs et joueuses de maillots esportifs plutôt communs et floqués aux couleurs de Gentle Mates ? Pourquoi ne pas les avoir laissés arborer des tenues plus originales, propres à leur style vestimentaire, ou même tout simplement : pourquoi ne pas les avoir habillés de pièces Coperni ?

Deux mondes étaient véritablement présents sur ce défilé, d’un côté celui de la fashion qu’on sent toujours empreint d’un certain élitisme et de l’autre des gens “normaux” qui se trouvent jouer aux jeux vidéo. Un des créateurs du défilé expliquait vouloir rendre hommage à la “sous-culture” des LAN parties des années 1990 sauf que le jeu vidéo n’est plus une sous-culture depuis de nombreuses années. Tout le monde joue au jeu vidéo, à petite ou grosse dose.

En revanche, les personnes qui assistent aux défilés de la Fashion Week et portent des pièces Coperni, eux, sont très clairement minoritaires. La fashion est la véritable “sous-culture”, encore quelque peu refermée sur elle-même, qui doit encore faire ses preuves mais certainement pas le jeu vidéo. En forçant cette association, cela donne l’impression que la mode jalouse le succès du jeu vidéo et tente de copier cette même “success story” qui a fait passer le gaming de sous-culture à culture dominante.

Il y avait pourtant mille et une manières de créer un mariage aussi hétéroclite qu’heureux entre gamers et fashionistas. On aurait pu imaginer des gamers et streamers défiler en pièces Coperni comme avait pu le faire L’Oréal en conviant la streameuse et joueuse Maghla sur le catwalk. À l’inverse, pourquoi ne pas faire jouer les mannequins à des jeux vidéo, surtout que statistiquement il y a forcément des gameuses parmi les modèles.

Si Coperni est habituée à créer la surprise lors de ses défilés, celle-ci était soit mal orchestrée soit seulement destinée à son même petit cercle restreint de fashionistas. Oui, les gamers peuvent largement s’intéresser à la mode, (il suffit de voir le succès du jeu Roblox “Dress to Impress“) mais du coup pourquoi choisir de les réduire à leur statut de gamers ?

Au moins ce “geek-washing” flagrant a le mérite de montrer qui est aujourd’hui vraiment à la mode.