Malgré son sacre aux Golden Globes et ses nominations record aux Oscars, le film Emilia Pérez de Jacques Audiard, récompensé à Cannes du Prix du Jury, ne fait pas l’unanimité : jugé eurocentré pour son traitement de la culture mexicaine, mais aussi maladroit quant à son traitement du récit transgenre, le film a aujourd’hui droit à sa parodie baptisée Johanne Sacrebleu et c’est plus politique qu’il n’y paraît.
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Signé de la créatrice de contenu queer Camila Aurora, le court-métrage satirique renvoie la balle à Audiard avec un court sur la France, déroulant une narrative 100 % baguettes et bérets, mais tourné exclusivement au Mexique avec un casting exclusivement mexicain. Emilia Pérez, dont l’histoire a lieu au Mexique, a été tourné en France avec un casting de vedettes internationales, incluant une seule actrice d’origine mexicaine, à savoir Adriana Paz, qui tient un second rôle minime dans le long-métrage.
En quelques jours, le court-métrage parodique Johanne Sacrebleu a dépassé le million de vues sur YouTube.
Emilia Pérez, “une moquerie raciste eurocentrée”
Pour rappel, les détracteur·rice·s du film de Jacques Audiard s’élèvent depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux et dans plusieurs médias spécialisés pour dénoncer le film à succès. Dans un tweet aux plus de 2,7 millions de vues adressé à l’Académie des Oscars, le scénariste mexicain Héctor Guillén taxe Emilia Pérez de “moquerie raciste eurocentrique”, dénonçant le choix de faire une comédie musicale au sujet d’une situation politique dévastatrice au Mexique — plus de 500 000 personnes décédées dans un contexte de guerre des cartels de la drogue.
“Pour nous et de nombreux militants, c’est comme si vous jouiez avec l’une des plus grandes guerres du pays depuis la révolution [au début du 20e siècle]“, détaille Héctor Guillén dans les colonnes de la BBC. “Et dans les quatre discours de remerciement aux Golden Globes, aucun mot pour les victimes”, se fend le jeune scénariste.
L’eurocentrisme reproché à Audiard découle également du tournage du film réalisé en France avec une équipe très majoritairement européenne, mais surtout un casting n’incluant qu’une seule actrice mexicaine, tandis que le reste des protagonistes ne manient que maladroitement l’accent mexicain, à commencer par Selena Gomez qui le regrettait d’ailleurs à notre micro au lendemain de la première mondiale du film au Festival de Cannes.
De son côté, le réalisateur se défend de ces accusations auprès de la BBC en partageant qu’il s’est en réalité rendu au Mexique au moment de l’écriture du film avec l’intention d’y tourner son film, avant de se rendre “compte que les images [qu’il avait] en tête ne correspondaient pas à la réalité des rues de Mexico”. Selon lui, les rues de la ville étaient “trop populaires, trop réelles”. Et puis, comme il le partage quelque peu maladroitement : “C’est peut-être un peu prétentieux de ma part, mais Shakespeare avait-il besoin d’aller jusqu’à Vérone pour écrire une histoire sur cet endroit ?”. Hmm.
Emilia Pérez, “une mauvaise représentation trans”
Au-delà des critiques faites au film sur son traitement de la culture mexicaine, c’est également le récit trans du film qui est décrié. Si Emilia Pérez a le mérite de mettre en avant Karla Sofia Gascon et d’écrire l’Histoire (elle est la première femme trans nommée aux Oscars dans sa catégorie, ainsi que la première femme trans à remporter un prix d’interprétation à Cannes), le reste est à revoir. En effet, comme le souligne l’organisme américain GLAAD (Alliance gay et lesbienne contre la diffamation), le film d’Audiard ne serait “pas une bonne représentation trans”.
Pour appuyer son propos et prouver que le film “recycle les stéréotypes, les tropes et les clichés trans d’un passé pas si lointain”, l’association épingle plus d’une dizaine d’articles de presse spécialisée, signés de plusieurs plumes, dont certaines trans, dénonçant les maladresses et marques de transphobie présentes dans le film. Pour them., l’autrice queer Fran Tirado résume : “C’est une idée de la transidentité complètement tirée de l’imaginaire cisgenre”.
Pour toutes ces raisons, l’arrivée et le succès d’une parodie comme Johanne Sacrebleu sur YouTube témoignent d’une pluralité des voix auxquelles il faut prêter attention, même si le petit monde du Septième Art est bien décidé à continuer d’auréoler la comédie musicale de Jacques Audiard, qui risque bien de faire parler d’elle aux Oscars du 29 avril prochain.