The Brutalist et Emilia Pérez usent de l’IA pour améliorer le jeu des acteurs, c’est vraiment grave ?

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The Brutalist et Emilia Pérez usent de l’IA pour améliorer le jeu des acteurs, c’est vraiment grave ?

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Par Flavio Sillitti

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Les deux films, favoris pour la course à l'Oscar du Meilleur film de mars prochain, remettent la question de l'intelligence artificielle au centre du débat.

Mauvais timing. À quelques jours de l’annonce des nominations aux prochains Oscars, The Brutalist et Emilia Pérez, grands vainqueurs des derniers Golden Globes et favoris pour la cérémonie aux statuettes dorées, sont dans la sauce. C’est plus particulièrement le film de Brady Corbet, The Brutalist, rapidement qualifié de “chef-d’œuvre” par la presse internationale, qui est dans la tourmente. En cause : l’utilisation de l’intelligence artificielle pour composer certaines séquences et décors, mais aussi pour parfaire l’accent hongrois des protagonistes.

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The Brutalist raconte l’histoire de László Tóth, survivant de l’Holocauste d’origine hongroise, qui immigre en Amérique et s’installe en Pennsylvanie pour y reconstruire sa carrière d’architecte et tenter de sauver son mariage. Bien qu’Adrien Brody ait également des origines hongroises du côté de sa mère, l’accent de l’acteur (ainsi que celui de l’actrice Felicity Jones) n’était pas assez convaincant selon Dávid Jancsó, le chef monteur du film, qui a décidé de le perfectionner grâce à l’outil d’intelligence artificielle Respeecher, comme il le confie lui-même au média RedShark News.

“Nous avons entraîné [Brody et Jones] et ils ont fait un travail fabuleux, mais nous voulions aussi perfectionner leur accent de manière à ce que même les [spectateurs hongrois] ne remarquent pas la différence.” 

Selon le monteur, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans ce cas précis consiste surtout à remplacer certaines lettres et syllabes, en veillant à “conserver les performances des acteurs”. À noter que l’outil Respeecher a également été utilisé pour un autre film faisant partie des favoris de cette année, à savoir Emilia Pérez (comme le confirme un post X/Twitter de la plateforme, utilisée pour améliorer les séquences chantées des acteur·rice·s). Le film de Jacques Audiard essuie, quant à lui, d’autres critiques, notamment celles liées à sa représentation de la culture mexicaine, ainsi qu’à son traitement du récit transgenre.

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Ailleurs dans The Brutalist, c’est la dernière séquence qui a nécessité l’usage de l’intelligence artificielle et plus précisément de l’interface GenAI pour “donner vie à une série de dessins architecturaux et de bâtiments dans le style de l’architecte”. Si la séquence aurait pu être créée par des décorateur·rice·s ou des spécialistes du CGI, l’utilisation de l’intelligence artificielle est justifiée, selon le chef monteur, par la nécessité de “créer ces petits détails qu’[ils n’avaient] ni l’argent ni le temps de filmer”.

Pour rappel, le film repose sur un budget plutôt maigre, avec seulement 10 millions de dollars – contre 100 millions pour Oppenheimer, à titre de comparaison. “Parler de l’IA est controversé dans le secteur, mais ça ne devrait pas être le cas”, déclare Dávid Jancsó dans les colonnes de RedShark News.

“Nous devrions entamer une discussion ouverte sur les outils que l’IA peut nous fournir.” 

Sauf que dans un contexte où l’usage grandissant de l’IA dans le septième art effraie de nombreux corps de métiers, X/Twitter ne l’entend pas de cette oreille. Tout d’abord parce que l’apprentissage d’un accent reste une des qualités sur lesquelles baser la consécration d’une performance et que l’altération de cet exercice par l’intelligence artificielle pourrait, selon beaucoup, remettre en question la nomination d’Adrien Brody dans la catégorie Meilleur acteur – dans laquelle il est déjà annoncé comme favori.

D’autant plus que, selon plusieurs lectures, cette utilisation de l’IA irait à l’encontre du message même du film The Brutalist, dont l’un des thèmes majeurs reste la protection de la créativité contre les lois cruelles de la commercialisation. À savoir si ce microscandale, à quelques jours des nominations des Oscars, va servir de jurisprudence au monde du grand écran, qui semble décidément bien mal à l’aise face à l’évolution de ses moyens techniques.