Ce n’est ni une surprise ni un cas isolé : des insultes homophobes ont proliféré lors du dernier affrontement entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain au Parc des Princes, le dimanche 24 septembre. Sous les yeux victorieux et les moues hilares des joueurs du PSG, les supporter·rice·s parisien·ne·s se sont adonné·e·s à des chants injurieux à base d’insultes en tout genre, incluant notamment les indémodables “pédés” et “enculés” qui poussent à qualifier les incidents d’homophobes.
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Si, cette fois, par concours de circonstances, c’est le PSG qui est pris la main dans le sac, il ne faudrait pas croire que le phénomène se cantonne à l’enceinte du Parc de Princes. Tout le monde du foot, de l’amateur au pro, est gangrené, et les seuls remèdes semblent être l’éducation et la remise en question, loin des “sanctions” annoncées par les institutions concernées. Mais face aux promesses (dans le vent) des Fédérations et de la ministre des Sports, doit-on vraiment continuer d’espérer le changement, ou plutôt en engendrer un autre ? Décryptage.
D’où vient le mot “pédé” ?
Comme nous l’indique l’association SOS Homophobie, le mot “pédé” est une “insulte homophobe basée sur l’amalgame entre l’homosexualité masculine et la pédophilie”. En effet, selon le dictionnaire Larousse, le mot PD ou Pédé est une abréviation du mot “pédéraste”, qui désigne l’attirance d’un homme adulte pour un garçon plus jeune, généralement un adolescent.
Le temps a fait que le mot a largement été utilisé pour parler de façon péjorative de la communauté homosexuelle masculine, détournant son sens initial lié à la pédophilie pour l’orienter vers l’homosexualité. Comme l’association SOS Homophobie le rappelle, “l’utilisation de ces expressions constitue une agression verbale homophobe, peut faire l’objet d’un dépôt de plainte et est punie par la loi.”
Pourquoi le mot “pédé” dans un stade de foot est homophobe ?
À un autre niveau, “pédé” est devenu une insulte générale visant à dévaloriser quelqu’un ou quelque chose, sans obligatoirement faire référence à une orientation sexuelle. C’est notamment ce qui s’observe le plus fréquemment dans les tribunes de football, qui sont les théâtres d’insultes s’inscrivant dans des “traditions” de rivalité conflictuelle entre deux communautés de supporter·rice·s. Pour provoquer l’adversaire, des chants populaires sont entonnés en chœur par un camp et le mot “pédé” se retrouve fréquemment dans les paroles.
Cependant, même lorsque l’insulte ne semble pas inclure de référence à l’orientation sexuelle de qui que ce soit, elle n’en perd pas pour autant son caractère homophobe, dans le sens où elle entretient le stigmate selon lequel ce qui est lié à l’homosexualité masculine est dévalorisant. Les liens entre l’homophobie et le football ont d’ailleurs été au centre d’une récente vidéo du youtubeur Mickaël Vincent, plus connu sous le nom de Talk My Football.
Qu’en pensent les fans de foot ?
Interrogé·e·s sur la question, plusieurs supporter·rice·s nous livrent leur vision des choses. Pour Laure, supportrice du FC Girondins de Bordeaux depuis 23 ans : “Le milieu du football est encore, bien que certaines évolutions s’y profilent, patriarcal et foncièrement hétéronormé. En preuve, le faible nombre de footballeurs qui ont fait leur coming out et toutes les conséquences que cela a engendré.”
“C’est le foot, quoi. Il y a des chants, on a des ‘ennemis’, on les tacle : c’est l’esprit. On ne va pas crier d’amour pour notre adversaire, quand même.”
C’est un contexte bien particulier, qui pourrait peut-être en partie justifier la présence d’un tel jargon homophobe dans les tribunes. Claire, supportrice du LOSC, nuance : “Je ne pense pas que ces chants aient une portée homophobe quand ils sont chantés dans les stades. Je pense que les personnes qui chantent ces chants ne mesurent pas ces propos. Par contre, ces chants sont homophobes parce qu’ils sont révélateurs d’un problème de notre société sur l’estime des personnes LGBT+”.
Pour Ophélie, supportice du PSG présente au Parc des Princes lors du match OM-PSG, “c’est le foot, quoi. Il y a des chants, on a des ‘ennemis’, on les tacle : c’est l’esprit. On ne va pas crier d’amour pour notre adversaire, quand même.” Matéo Vigné, fervent supporter et journaliste ayant d’ailleurs mené des recherches sur les questions liées au supporterisme, éclaire : “Dans l’arène qu’est le stade de foot, l’intention qui est mise dans les chants proférés envers l’équipe rivale s’inscrit dans une marque d’adversité avec l’autre. Dans ce rite, il ne faut pas abandonner les pratiques qui visent à provoquer, attaquer, alimenter cette adversité mais le faire en utilisant les bons codes, les bons mots et savoir se mettre en retrait quand ce qui relevait de la norme devient problématique.”
“Même quand il n’y a qu’‘une petite minorité’ qui fait, c’est qu’il y a ‘une grande majorité’ qui laisse faire.”
Nico, supporter ouvertement homosexuel, confie : “Je pense qu’il s’agit avant tout d’une ‘habitude’ pour certains. Il m’est arrivé de faire la remarque après avoir entendu de tels mots. On me répond qu’il n’y a rien d’homophobe en soi mais ‘qu’on a toujours fait comme ça’. Mais ça me dérange clairement”. Pour Thomas, autre supporter, il n’y a pas de doute : “Il est évident que certains chants sont homophobes. Même si il s’agit davantage d’homophobie [due à l’]ignorance et d’habitudes plus que de convictions, ils n’en sont pas moins des chants homophobes pour autant.”
Par rapport à l’attribution de l’adjectif “homophobe” à ces insultes, un supporter argumente : “Quand ces chants sont nés, il n’y avait pas de place pour tous ces débats autour de l’homophobie et de la place des personnes LGBT+ au sein de la société. Le football était un sport de mecs forts, en opposition aux pédés, qui représenteraient l’inverse”. Il continue : “Mais ces chants et ces cris homophobes ne représentent qu’une minorité des événements qui ont lieu lors d’un match de foot.”
“Je sais que ce n’est pas bien de penser comme ça, mais c’est dans le folklore et je les chante aussi.”
Face à ce constat, Noé Boever, journaliste sportif belge, réfute : “La plupart des supporters ont tendance à minimiser les incidents en disant que ceux qui les ont causés ne représentent qu’une minorité de supporters, voire des ‘pseudo-supporters’ ou des ‘faux supporters’. Je suis en désaccord total, ces personnes sont des vrais supporters, comme les autres. C’est trop facile de se désolidariser d’eux après-coup, car même s’il y a ‘une petite minorité’ qui fait, c’est qu’il y a ‘une grande majorité’ qui laisse faire. C’est la responsabilité de tout le monde d’empêcher de faire, tout simplement.”
Du coup, comment on fait ?
Ben, c’est simple : on arrête. Qu’est-ce qui empêche de refuser de prendre part à ces chants homophobes ? D’autres existent, bien assez. Si, à chaque match, trois supporters évitent de le chanter, à force, le chant en question perdra de sa puissance, tant sonore que symbolique. L’expression “on a toujours chanté ça” finira par perdre de sa substance également et l’usage diminué dudit chant induira sa disparition, pour le meilleur.
Une telle modification des coutumes semble encore loin, notamment sous prétexte d’appartenance au folklore.“Évidemment, les chants pourraient être modifiés ou supprimés. Mais ils sont ancrés dans la culture foot, c’est le folklore. Et je sais que ce n’est pas bien de penser comme ça, mais c’est dans le folklore et je les chante aussi”, nous partage un supporter. Cependant, comme nous le rappelle le journaliste sportif Noé Boever, “on ne peut pas se cacher indéfiniment derrière une tradition ou un folklore”.
“Les mesures sont insuffisantes.”
Une solution serait donc l’éducation. Elle passerait par le rappel du sens des mots employés dans les stades, l’explication de l’origine du mot “pédé”, de la portée du mot “enculé”, l’éducation sur l’impact qu’ils peuvent avoir sur une communauté en particulier, etc. Cependant, comme l’indique le journaliste Matéo Vigné, “un simple appel à changer les chants ne serait ni efficace ni judicieux. Pour espérer changer les choses, il faut passer par un dialogue incluant les différents capos. Les capos et chefs de groupes de supporters sont ceux qui rythment les chants. Il faut qu’ils forment des groupes de travail avec des associations et représentants de l’État pour établir une politique commune de réduction des discriminations dans l’enceinte du stade”.
Des groupes de supporter·rice·s d’un nouveau genre fleurissent déjà, formés autour des valeurs d’inclusion et du respect. En Belgique, un groupe de supporter·rice·s du club bruxellois de l’Union Saint-Gilloise “repose sur une charte d’inclusivité à respecter. Elle porte notamment sur les chants qu’on utilise. On reprend des chants existants pour les rendre marrants et safe en évitant d’utiliser certains termes discriminants, pour permettre à tous et toutes de le chanter. On essaie de faire au mieux, mais c’est difficile de faire changer les choses à grande échelle”, partage Noé Boever, membre du collectif.
Concernant les sanctions, qui semblent être la réponse principale des institutions suite aux récents incidents survenus au Parc des Princes, elles ne seraient peut-être pas la meilleure solution, comme nous l’indique Laure, supportrice du FC Girondins de Bordeaux depuis 23 ans : “Du moment qu’il n’y a pas une connaissance exacte du public dans le stade ou des gens qui fréquentent les stades, ce genre d’agissements ne peuvent pas être réprimandés. Les mesures sont insuffisantes, comme on peut également l’observer à travers le prisme du racisme. À mon sens, il faudra beaucoup de mesures, beaucoup de temps et un changement des institutions du football français et international”.